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La longévité de Shinzo Abe représente-elle un handicap pour les réformes?

Dernière mise à jour : 2 sept. 2019

- Cédic Hyafil

 

Élu dans l’ambiance terne au lendemain de Fukushima, Shinzo Abe promettait une réforme en profondeur de la société japonaise, de ses coutumes à son modèle économique, tout en passant par sa politique militaire. Alors que le pays du soleil levant se démarquait par un exécutif qui peinait à rester au pouvoir, l’actuel Premier Ministre est entrain de battre un record de longévité. Au pouvoir depuis décembre 2012, Abe se repose sur une majorité absolue et stable dans les deux chambres, et une opposition passive. Réélu à la tête de sa formation fin septembre, le chef du Parti libéral-démocrate (droite conservatrice) aspire à régner sur l’Archipel pour encore 3 années.


Abenomics et réformes libérales


Cette longévité est le résultat des réformes ambitieuses que Shinzo Abe a appliqué dès le début de son mandat. Porte-étendard de ses politiques, les Abenomics ont eu pour objectif de faire évoluer le modèle japonais. Ces mesures peuvent se résumer par une libéralisation de l’économie nippone qui passe notamment par une politique fiscale flexible (baisse de l’impôt des sociétés de 10%), une ouverture à l’immigration et une multiplication des traités multilatéraux de libre-échange, notamment le Trans-Pacific Partnership Agreement entre 12 pays du Pacifique.


Mais ces réformes passent aussi par une remise en question du modèle énergétique japonais. Alors que 30% de l’énergie nippone était par le passé produite par le nucléaire, la catastrophe de Fukushima a poussé le gouvernement à augmenter les alternatives, comme les énergies renouvelables (avec un objectif d’augmenter de 20 % la part d'électricité provenant des énergies renouvelables d'ici 2024) au détriment de l’atôme.


Et pourtant, la popularité du Premier Ministre a perdu 22 points en l’espace de 5 ans. Près de 40% des japonais n’approuvent pas les politiques du gouvernement, et seulement 44% le soutiennent. et ce à cause d’un bilan dans l’ensemble mitigé. Alors que le gouvernement défend ses politiques, notamment un chômage à 2.8% (soit 1.7% de moins qu’en 2012), une hausse de l’indice boursier japonais de 250%, et d’une dévaluation du yen de 30% pour réduire la déflation, l’opposition, de son côté, fustige un bilan qu’elle considère comme étant anti-social. Le Parti Démocrate du Japon, premier parti d’opposition, explique que la réduction du chômage avait été achetée par la hausse de la dette, qui avoisine les 250%; une croissance qui peine à convaincre (1% en 2017); une paupérisation des classes ouvrières (15% des japonais); un repoussement de l’âge de la retraite à 80 ans; et une population vieillissante (le Japon devrait perdre 40 millions d’habitants entre 2020 et 2050).


Néanmoins, Shinzo Abe résiste aux secousses avec fermeté. Les oppositions fragmentées et le manque d’alternative se témoignent dans les urnes: le PLD a ainsi monopolisé l’espace politique depuis 2012, obtenant systématiquement la majorité absolue dans les deux chambres. Pour autant, bien que l'exécutif soit dans une position de force, son plus grand chantier semble être face à une impasse: la réforme de l’armée et de la Constitution.


De nation marginalisée à puissance normale


Aujourd’hui doté d’une Constitution pacifiste qui lui interdit l’usage de la force armée, le Japon dispose paradoxalement d’un des budgets de la défense les plus importants du monde. Depuis le traité de sécurité nippo-américain de 1951, la politique de défense du Japon repose en partie sur les États-Unis et par conséquent se pose alors la question de son autonomie. L’actuel gouvernement conservateur vise à remédier à cette situation où le Japon n’est pas pleinement souverain et ainsi devenir un pays dit normal, comme le note Edouard Pflimlin dans son livre “La défense japonaise : évolution ou révolution ? “. Cette vision est aussi partagée par le Premier Ministre Abe qui, dans son discours du 22 février 2013, a résumé en quelques mots les fondements de sa doctrine politique: “Le Japon n’est pas et ne sera jamais une nation de second rang ».


L’opposition bloque


Le premier défi pour les partisans d’une remilitarisation est la révision de la Constitution et plus particulièrement du fameux article 9. Le chef de file dans ce projet est indéniablement le PLD. Pour autant, sur ce point, Shinzo Abe semble affaibli. Une opposition farouche s’est formée vis-à-vis de cette réforme, opposition qui représente un obstacle imposant au plan de Abe.


Tout d’abord l’obstacle constitutionnel. Pour amender la Constitution japonaise, le projet de révision doit être adopté aux 2/3 des deux chambres du parlement puis être soumis à un référendum qui choisira de conserver ou non la Constitution en l’état. Ainsi, réunir ces conditions est particulièrement long et fastidieux tant le sujet du réarmement fait débat.


Depuis novembre 2016, le projet de révision est étudié à la Diète mais les divisions profondes qu’il suscite et la volonté du PLD de trouver un consensus semblent bloquer toute avancée. Il est souvent estimé que le processus entier de réforme constitutionnelle prendrait 10 ans. Ce sont autant d’années au cours desquelles la majorité doit rester fixe. Notons par ailleurs que, si une décision devait être trouvée concernant la révision de l’article 9, bien d’autres sujets divisent encore au sein du PLD. De plus, la désunion du PLD sur la question représente une difficulté pour le programme de Abe. Actuellement, seul le Parti Libéral Démocrate a pu émettre un projet abouti et ce dernier ne fait pas l’unanimité au sein même du Jimintô (autre nom du PLD). Pour sa part, le parti du Minshûto (parti centriste) reste divisé entre une aile gauche et une aile droite ne se rejoignent que sur le maintien du pacifisme constitutionnel et l’envoi de troupes dans le cadre onusien.


Depuis l’établissement de la Constitution nippone en 1947, les citoyens n’ont jamais été très favorables à la remilitarisation, trop marqués par la Seconde Guerre Mondiale. Le pacifisme est jugé comme partie intégrante de la mentalité et surtout de la nation japonaise. En 2017, à l’issu de sondages réalisés par Nikkei, 45% seulement des Japonais interrogés supportent le projet de révision du premier ministre malgré les tirs balistiques de la Corée du Nord. Le sujet divise toujours, 75% des japonais estimant que le pacifisme constitutionnel a permis au Japon de rester loin des conflits internationaux mais près de 50% souhaitant également une réforme. Le point important ici n’est pas tellement le pourcentage en lui-même mais la fluctuation qu’il y a en fonction des sondages. A chaque fois, tantôt majoritairement pour, tantôt contre. Il n’y a aucune constance de l’opinion, aucun avis émergent, fragilisant l’idée d’un référendum victorieux.


Abe affaibli, la réforme constitutionnelle peu envisageable


Ainsi, bien que Shinzo Abe ait réussi à rester à la tête d’un pays réputé pour être instable électoralement parlant, son bilan mitigé l'empêche totalement de mettre en oeuvre ses réformes les plus ambitieuses. Bien qu’il bénéficie d’une majorité confortable au Parlement, les divergences sur la question du pacifisme enterrent le débat d’une réforme constitutionnelle en profondeur. Une popularité instable, une monnaie déflationniste, une croissance timide, le gouvernement Abe semble survivre difficilement uniquement grâce à l’absence totale d’alternative politique. La longévité de l’actuel Premier Ministre entérine l’idée d’une absence de réformes ambitieuses, laissant le Japon planer dans un marasme incertain.


Bibliographie


  • Bautzmann, Alexis. “Japon: Vers Un Réveil De La Puissance Nippone?” Diplomatie, vol. 78, 2016, pp. 36–49., Affaires stratégique et relations internationales.

  • Bieri, Matthias. “Politique De Sécurité: Analyses De CSS.” La Renaissance Militaire Du Japon, pp. 1–4.

  • Céline Pajon, Céline. “La Culture Stratégique Et La Normalisation Militaire Du Japon.” Centre Asie Ifri, 28 Sept. 2007, pp. 1–16.,

  • Pfimlin, Edouard. “La (Longue) Route Pour Modifier La Constitution Japonaise.” IRIS, 15 May 2017,

  • Takeshi, Inoue. “Élargir La Réflexion Sur La Réforme De La Constitution Japonaise.” Nippon.com, 20 Sept. 2017, www.nippon.com/fr/in-depth/a05601/.

  • Vaulerin, Arnaud. “Au Japon, Shinzo Abe De Bonne Constitution.” Libération, Libération, 9

  • Japan .” Japan | Data, 2018, data.worldbank.org/country/japan.

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